Ce premier article, d’une série à venir sur les différentes techniques textiles, est né de la volonté de vous en faire découvrir plus, d’avoir un autre regard et de dépoussiérer (peut-être) la manière que nous avons de considérer celles-ci. Ces techniques, broderie, tricot, crochet…, si chères à nos cœurs et trop souvent « méprisées » comme les sempiternels ouvrages de dames, sont pour beaucoup aujourd’hui un retour aux sources, un désir de FAIRE avec nos mains en opposition à nos vies virtuelles. Nous vous invitons donc à surfer sur ce nouvel élan que vivent, via le DIY notamment et les artistes qui s’emparent de ces médiums, ces moyens d’expression qui trouvent également un regain dans le design de mode et d’objet.

Le point de croix traditionnel revisité par l’artiste lithuanienne Severija Inčirauskaitė-Kriaunevičienė (point de croix sur casque) et par la designer Charlotte Lancelot pour sa collection de tapis Canevas (170cmx240cm)
Qu’est-ce que la broderie ?
Une petite définition du dictionnaire ne fait jamais de mal pour mettre tout le monde d’accord !
Broderie : Art de réaliser à l'aiguille, sur une étoffe ou autre support (cuir…), des applications de motifs ornementaux à l'aide de fils de coton, de lin, de soie, etc., ou de métal. (Larousse)
Petit retour historique pour planter le décor
La broderie est certainement l’une des expressions les plus somptueuses de ce que peut faire la main humaine, luxe fou ou sobriété du blanc, elle est un art à part entière. L’art de broder ses vêtements est au moins aussi ancien que l’apparition de l’aiguille pour les coudre et du fil pour les assembler. Le besoin de décorer les étoffes pour nous différencier vient de la nuit des temps, les vêtements se sont parés de couleurs, pour montrer un statut social et paradoxalement pour nous identifier, créer un fil conducteur visuel entre les membres d’une communauté, d’où une grande maîtrise de la broderie notamment pour les uniformes militaires. Broder n’en n’est qu’un des moyens, au même titre que le tissage ou la teinture.

Zhao Guojing&Wang Meifang, 2000 – Albert Ludovici, The embroidery lesson, 1876 – Brodeuse de coiffes bretonne, Pont l’Abbé 1913. La broderie, un art textile universel, partagé à travers les générations et les continents.
L’art de la broderie est très ancien, les premiers spécimens connus ornaient des étoffes retrouvées dans des tombes égyptiennes. Les croisades ont apporté en Occident le luxe des broderies orientales et l’importation des vers à soie chinois. Au Moyen-Age, la broderie est omniprésente dans le quotidien, des plus riches aux plus humbles, mais c’est le plus souvent une affaire d’Eglise pour les ornements liturgiques.
A la Renaissance, la broderie envahit tous les vêtements d’apparat et l’ameublement. Réservée aux élites, elle décore habits de cour, vêtements des nobles et des riches bourgeois, mobilier des demeures princières. Elle est le symbole du beau, du riche et de l’élégant.
Au XXème siècle, le brodeur devient l’allié de la Haute-Couture
Avec Paul Poiret, premier grand couturier moderne, la broderie devient aussi folle que la période… les robes sont couvertes de strass, de paillettes, de perles. Au rythme du charleston, les sequins brillent dans les soirées, les robes deviennent si lourdes qu’elles menacent de se déchirer.
Disparu en 2011, François Lesage représente l’essence même de la broderie de luxe pour la Haute-Couture française. Ce célèbre brodeur a collaboré avec les plus prestigieuses maisons, comme Chanel, Yves Saint-Laurent, Balenciaga, Givenchy, Christian Lacroix, Balmain ou Dior.

Robes et chaussures de bal de Paul Poiret 1911 et 1920
Fils de brodeurs, François Lesage est soucieux de transmettre son savoir-faire. C’est pourquoi il ouvre l’École Lesage à Paris où l’on peut aussi bien découvrir les techniques de base que se former aux techniques complexes de la Haute-Couture. Par ailleurs, Chanel rachète la maison Lesage en 2002 ainsi que l’atelier Montex en 2011 afin de protéger leurs savoir-faire, comme elle le fera avec d’autres maisons d’artisans de luxe en perdition.
« On ignore trop que la broderie s’exécute encore à la main comme au XVIIIème siècle »
(Christian Dior)
En effet, peu de choses ont changé : les métiers sont les mêmes et il est toujours aussi long et minutieux de broder. On distingue principalement trois sortes de broderies : la broderie à l'aiguille ou au crochet, exécutée à la main sur un petit métier ou cadre ; la broderie à la machine, type Cornély ; et la broderie mécanique, exécutée sur les grands métiers industriels. Plus récemment des machines à coudre-brodeuse électroniques ont fait leur apparition.

Lisa Smirnava, broderie sur vêtements - Hillary Waters Fayle, A Mandala for Sri Lanka, broderie sur feuilles – Adriana Torres, Lion Mask
Des ouvrages de dames à l’expression « Arty »
Mais à côté de la grande broderie de luxe qui a fait la renommée de la capitale, il y a son humble petite sœur : la broderie domestique, celle qui sans prétention sert à enjoliver le quotidien.
C’est là que l’imagination et la fantaisie ont pris la relève. Les matériaux traditionnels se voient chahutés, conception et exécution ne connaissent plus de frontières,
Aux côtés de simples amateurs, on voit des artistes questionner la technique et son emblématique positionnement « travaux féminins » qui ne manquera pas d’être mis en avant par les mouvements féministes. Vous avez pu découvrir à l’Aiguille en fête plusieurs de ces artistes toutes avec des interprétations uniques : Adriana Torres, l’illustration en broderie sous le nom Miga de Pan,
Marie-Thérèse Saint-Aubin qui transcende le point de croix en nous contant un hymne à la nature, Ina Statescu qui mêle la broderie à une foule d’autres techniques, Inès Oviedo qui propose un processus très particulier de broderies-dentelles, Rika Ogasawara magnifie et réinterprète le point de Beauvais sur ses bijoux, Hélène Leberre quant à elle, illumine avec poésie les étoffes délicates de vêtements anciens…, et ce n’est pas fini, dans les prochaines expositions seront à l’honneur Nadia Berruyer, Fanny Viollet et Léa Stansal, trois univers riches et complémentaires par leurs approches plastiques et techniques. Par ailleurs, porté par le thème du voyage, vous pourrez découvrir des broderies de coquillages sur les textiles africains du royaume kubas, les magnifiques kanthas indiens et plusieurs pièces brodées chinées autour du monde par la collectionneuse Catherine Legrand.
Une envie de faire ensemble
Par ailleurs, comme souvent le textile rassemble et de nombreux projets collaboratifs existent autour de la broderie, le projet Guldusi, un dialogue entre brodeuses afghanes et occidentales et le projet Patch’, une fresque participative sur les savoir-faire et les cultures textiles en sont de belles illustrations.

Projet street art de Arquicostura studio, Espagne 2015-2017. Quand la broderie voit grand, elle ne manque pas de s’intégrer au mouvement « Yarn bombing » expression urbaine entre graffiti et street art, encore une histoire de point de croix !
Cet article n’est bien entendu pas exhaustif, il est impossible tant elle est riche de parler de la broderie dans son ensemble. Il lance des pistes à l’image du salon pour parler des fils, des textiles, des créateurs, de l’artisanat d’art, de l’art contemporain. Une place pour partager, échanger, et découvrir de nouveaux horizons d’expressions, formations et fournisseurs et donner envie aux experts comme à ceux qui n’ont jamais enfilé un fil dans le chas d’une aiguille.
Pour aller plus loin :
Rendez-vous au Musée de Cluny pour découvrir la broderie médiévale :
Entrée du musée par le 28 rue du Sommerard, 75005 Paris
Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 9h15 à 17h45. Fermé les 1er janvier, 1er mai et 25 décembre.
Découvrir leur dossier en ligne « L’art en broderie au Moyen-Âge » :
https ://www.musee-moyenage.fr/collection/dossiers-thematiques/l-art-en-broderie-au-moyen-age.html
Découvrir la fabrication d’une aiguille en visitant la Manufacture Bohin :
https ://bohin.com/preparer-sa-visite
1 Le Bourg, 61300 Saint-Sulpice-sur-Risle
Visiter les ateliers du Bégonia d’or, brodeur d’or à Rochefort qui réalise des pièces pour l’art contemporain, la décoration d’intérieur, la broderie militaire et la Haute-Couture.
10 rue du Dr Peltier, 17300 Rochefort
Visites guidées payantes sur R.V.
7€70 par personne sur place du lundi au vendredi : 9h-12h00 et 14h-18h00
« Le temps de broder » un blog qui traite de tous les aspects de la broderie, à suivre : https://www.letempsdebroder.com/category/articles/page
Pour vous initier ou vous perfectionner, retrouver différents ateliers broderie sur le salon